Hécatombe

"Qu’est-ce que tu vas faire de 390 photos d’arbres de Noël ?

Je n’en sais rien. Sauf qu’en cette première semaine de janvier 1964, il m’était apparu que c’était ce qu’il fallait faire et que j’avais réussi à embaucher deux autres personnes avec moi. L’une d’elles tient à garder l’anonymat : moi, ça ne me gêne pas.

Je crois que nous étions encore sous le coup de l’assassinat du Président Kennedy. Oui, peut-être que toutes ces photos d’arbres de Noël, ça avait quelque chose à y voir [...]

Je les avais quittés aux environs de minuit et j’étais à descendre une rue sombre et silencieuse qui conduisait à la maison lorsque j’aperçus un arbre de Noël abandonné à côté d’une bouche d’incendie.

L’arbre avait été dépouillé de ses décorations et gisait là tristement, tel le soldat mort après la défaite. Une semaine auparavant on avait pourtant dit un héros.

Puis j’en vis un deuxième, à demi écrasé par une voiture en stationnement. Quelqu’un l’avait laissé dans la rue et l’auto lui était passée dessus par accident. On était loin des attentions que l’enfant prodigue à son arbre de Noël adoré ! Même que ledit arbre avait des branches prises dans les pare-chocs.

On était à cette époque de l’année où les habitants de San Francisco se débarrassent de leurs arbres de Noël en les déposant dans le rues et les terrains vagues — enfin quoi, partout où on peut s’en débarrasser, leur faire entamer l’adieu à Noël.

Tous ces arbres de Noël tristes et abandonnés me firent mal à la conscience, vraiment. Ils avaient donné tout ce qu’ils avaient pu à ce Noël d’assassinat et voilà qu’on se contentait de les balancer, qu’on les condamnait à dormir à même la rue, tels des clodos. [...]"

Richard Brautigan - Tokyo-Montana Express

Je n'ai pas atteint les 390, Et ce n'est pas Kennedy qui est mort l'année dernière.

(Album complet ici!)